À ma manière

Le maître de la laisse

L’aventure : inventer un produit qui a du chien, puis lancer son entreprise. La manière : courir le risque de l’innovation.

Le 15 février dernier, les laisses et colliers pour chiens Bond Pet ont remporté le prix Objet et accessoire en design industriel aux Grands Prix du design.

Imperméables, faciles à nettoyer, offerts en cinq couleurs, ils sont moulés dans un plastique souple qui s’étire légèrement sous tension.

Ils ont été conçus par le propriétaire et fondateur de Bond Pet, le designer industriel Yan Tremblay.

D’aussi loin qu’il se souvienne, c’est ce qu’il voulait faire dans la vie : inventer.

« Un inventeur, pour moi, c’était un ingénieur », raconte-t-il.

Il entreprend donc des études en génie mécanique, mais découvre en chemin le design industriel, qui lui semble mieux taillé pour la création.

Il travaille pour diverses firmes de consultants, puis devient directeur du design pour un fabricant d’appareils médicaux.

« C’est un travail ardu de promouvoir l’innovation dans une compagnie. »

— Yan Tremblay

L’innovation, « c’est une prise de risque. Moi, je prétends que ce risque est peut-être un meilleur pari que de ne pas prendre le risque ».

La fibre de l’inventeur vibre toujours. S’il détenait sa propre entreprise, il pourrait en jouer à loisir.

Ça tombe bien, « j’ai toujours eu un petit côté entrepreneur », confie-t-il.

Il ne lui manque qu’une idée.

Le déclic

Le designer dit ne pas croire au « aha moment », selon l’expression anglaise, ou au moment eurêka dans sa version grecque : cet instant d’illumination qui fait éclore l’idée géniale.

Son projet est plutôt le fruit de « plusieurs années de discussion et d’observations ».

Il avait découvert le potentiel du marché des animaux de compagnie pendant la conception d’une poubelle pour litière de chat.

Au tournant des années 2010, il se met en quête d’un besoin dont il pourrait faire profiter ses talents créatifs et le trouve dans l’humble laisse, dont le principe n’a probablement pas changé depuis la domestication du chien.

Encore de nos jours, elles sont le plus souvent en cuir ou tissées – quoique de nylon. Elles se salissent aisément, absorbent l’eau, sont difficiles à nettoyer.

Il songe à l’uréthane thermoplastique, un matériau dont la souplesse « permettait une certaine absorption des chocs si un chien plus costaud partait à courir après un écureuil ».

En 2011, il trace ses premières esquisses.

Il met au point une laisse moulée par injection en une seule pièce, dragonne comprise. « Pas de couture ni rivet », décrit-il.

Il observe que la dragonne traditionnelle, enroulée autour de la main, peut comprimer les doigts lorsqu’un chien vigoureux donne sa pleine mesure. Il y ajoute donc une pièce amovible en polypropylène rigide, munie d’une protubérance arrondie qui se loge au creux de la paume.

Beaucoup d’amour

Il fait fabriquer les coûteux moules d’injection en Chine. Il finance l’aventure avec ses économies et le soutien de ses proches.

Sa conjointe, designer graphique, conçoit le logo de l’entreprise, l’emballage des produits et le site web de l’entreprise. Sa sœur, avocate, le guide dans les méandres du droit commercial. Son beau-frère le conseille pour la commercialisation.

Beaucoup d’amour…

Un précieux collier

Très bien, il a un produit. Mais « éventuellement, il faut se rendre sur le marché ».

Avec l’aide d’une firme spécialisée en commercialisation, il établit le contact avec Walmart.

On lui explique qu’un seul produit est insuffisant pour accéder aux précieuses tablettes.

Il reprend donc le collier et s’attaque à l’autre extrémité de sa courte gamme : le collier de chien, justement.

En même temps, il décide de prendre lui-même en main la mise en marché.

Premiers pas

« Pour tout ce qui est fabrication et conception de produit, je suis dans ma zone de confort. » Les difficultés de mise en production ne l’inquiètent pas : il en a vu d’autres. Mais dans « le développement des affaires et la commercialisation, chaque pas que je fais est le premier. J’ai fait des erreurs ».

Il achète de la publicité dans des magazines spécialisés. Mauvaise idée. « Ce n’est pas une très bonne dépense, de nos jours. »

Il s’entend avec un distributeur pour le Québec, qui estime qu’une récolte de 35 boutiques constituerait un beau résultat. Le produit est lancé en 2014. Deux ans plus tard, ses produits sont distribués dans près de 200 points de vente au Québec, dont l’importante chaîne Mondou.

Le gueule-à-oreille fait son effet. Les vétérinaires québécois ont vu les colliers Bond Pet au cou de leurs clients (canins) et s’y sont intéressés. En septembre dernier, une entente a été signée avec une coopérative de 150 cliniques vétérinaires qui en fait la distribution.

En 2015, Yan Tremblay a trouvé un distributeur pour l’Ontario. En 2015, c’était au tour de l’Ouest canadien.

Malgré des premiers pas hésitants, « je suis quand même rendu à la grandeur du Canada, se réjouit l’entrepreneur. Pour quelqu’un qui a une formation en design, ce n’est pas si mal ».

Le grand saut

En novembre 2015, il fait le grand saut et quitte son emploi.

Il veut ouvrir le marché américain, mais il s’aperçoit vite que « c’est beaucoup plus difficile qu’au Québec ou au Canada. Ça te prend un historique de vente, ou un certain succès, pour avoir une certaine écoute ou même pour avoir une réponse à tes courriels ».

Pour faire ses preuves, il utilise Amazon.

Surprise, fin 2016, il est contacté par un distributeur australien. Le distributeur pour l’ouest du pays lui aurait mis la puce à l’oreille. « On devrait livrer nos premiers produits quelque part ce printemps. »

Sa niche : l’innovation

« Je ramène la production au Québec », indique-t-il. Les frais de transport avec la Chine sont élevés, et la durée du trajet – plus d’un mois – l’oblige à maintenir un lourd stock. En outre, « au niveau communication, ce n’est pas tout le temps simple ».

Quand il s’est mis en quête d’un fournisseur local, il s’est vite aperçu que la communication au Québec n’était pas nécessairement plus rapide.

« J’ai contacté beaucoup de monde. Il a été difficile d’avoir un retour d’appel. »

En Chine, il pouvait obtenir une soumission en 24 heures. « Avec certains fournisseurs, ici, ça a pris trois mois. » Sans être aux abois, l’entrepreneur canin doit se montrer persistant. Il finit par trouver le fournisseur idoine.

Ses moules d’injection sont actuellement en mer vers le Québec.

Il vient d’ailleurs de passer commande d’un nouveau moule pour un ajout à sa gamme : un collier grand format pour chiens de gros gabarit. Il travaille déjà à de nouveaux articles canins.

Des articles d’abord innovateurs, destinés au grand public.

Bref, tout sauf des produits de niche.

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